Un recueil de dohas (Saraha): instructions essentielles du Mahamoudra

Un recueil de dohas (Saraha): instructions essentielles du Mahamoudra

13 janvier 2023 Non Par admin

En sanskrit : dohakoṣa-nāma-mahāmudra-upadeśa
En tibétain : doha dzeu tchédjawa tchagya chènpeu mènnak
En français : Un recueil de dohas : instructions essentielles du Mahamoudra

Hommage à la glorieuse vajra dakini !
Hommage à la grande félicité de la sagesse primordiale innée !

Ce texte comporte trois parties.

1. L’enseignement de la disposition naturelle du Mahamoudra

Trois parties :

1.1 Sa manière d’être

Animé, inanimé, mouvant, immuable,
Substantiel ou insubstantiel, apparence vide,
Rien, à aucun moment,
Ne s’écarte de sa nature spacieuse.

Alors que partout on répète « espace, espace …» :
L’essence de l’espace, pour autant, n’existe d’aucune manière.
Elle au-delà de tout objet pouvant l’illustrer,
Existant, inexistant, ni existant, ni inexistant ou autre.
Dès lors, il n’y a pas la moindre différence
Entre l’espace, l’esprit et la vraie nature.

Ces différents noms ne sont que des désignations superflues,
Des mots trompeurs et dénués de sens.
Tous les phénomènes sont notre propre esprit,
Il n’est pas la moindre particule qui ne soit un phénomène issu de l’esprit.
Celui qui réalise l’inexistence primordiale de l’esprit
Acquiert l’authentique vision des vainqueurs des trois temps.

Son appellation, « Étui des phénomènes », lui convient à merveille ;
Mais il n’est pas à part, un autre phénomène,
Il est la nature spontanément présente depuis toujours.

Cette réalité ne se trouve pas dans les enseignements,
Elle est indicible et personne ne peut la comprendre intellectuellement.
Prétendre qu’elle a un souverain, c’est commettre une erreur
Le trouverait-t-on dans l’absence de soi primordiale ?
Si l’esprit est présent, les phénomènes sont logiquement présents,
Mais en l’absence d’esprit, qui donc réaliserait le moindre phénomène ?

Cherchant l’esprit et tout ce qui apparaît en tant que phénomènes
On ne trouve rien, pas même celui qui cherche.
Inexistante dans les trois temps, sans naissance ni cessation
Il n’y a rien d’autre que cette réalité,
La condition innée de la grande félicité naturelle.

C’est pourquoi toutes les apparences sont le corps de la réalité
Tous les vivants de passage sont eux-mêmes bouddha
Toute activité des conditionnements est infinie présence,
Les phénomènes désignés étant comme les cornes d’un lièvre.

1.2 La confusion, l’état des vivants qui n’ont pas réalisé l’état naturel

Kyema ! Le ciel dégagé, gorgé des rayons de la lumière solaire
Apparaît cependant aux aveugles comme des ténèbres perpétuelles ;
De même, bien que la nature innée soit omniprésente
Pour les ignorants, elle est très éloignée.

Les vivants qui n’ont pas réalisé l’inexistence de l’esprit
Avec l’esprit qu’ils qualifient, entravent gravement l’esprit tel quel ;
Les fous, impuissants, atteints par des esprits malins,
Se font ainsi une absurde souffrance1En sanskrit translittéré dans le texte tibétain : duhkha :
Sous l’emprise du grand démon des conceptions duelles
Ces êtres ne font qu’entretenir un mal-être insensé.

Certains sont captifs de l’ineptie des classifications de l’intellect
Et recherchent ailleurs qu’en son logis le maître de maison ;
Certains saisissent un objet dans le reflet d’une forme,
Certains coupent des branches, délaissant les racines,
Et agissant ainsi ne sentent pas qu’ils sont trompés.

1.3 Comment l’ermite a-t-il atteint la réalisation.

Kye ho ! Bien que les êtres puérils ne perçoivent pas la réalité
J’ai réalisé qu’ils ne s’écartaient pas de la condition naturelle.

Puisque je connais mon début et ma fin
Je me suis vu, personne unique en elle-même
Mais observant cette unicité, je n’ai pas vu ce « un » :
C’est indicible car il n’y a pas d’objet à voir et personne pour voir,
Et puisque c’est indicible, qui comprendra ?

Lorsqu’on parvient au mental fondamental, on est purifié :
C’est à ce moment-là que l’ermite pénétrera ma réalisation.

Le lait de la lionne n’est pas versé dans un vulgaire récipient ;
Et quand toutes les biches de la forêt
S’enfuient terrorisées par le rugissement du lion,
Les jeunes lionceaux accourent joyeusement.

De même, l’enseignement de la grande félicité primordiale non née
Effraye les imbéciles qui pensent à l’envers
Et donne des frissons de bonheurs aux êtres fortunés.

2. La voie, la pratique de Mahamoudra

Trois parties :

2.1 Se déterminer définitivement quant à la vue

Trois parties également :

2.1.1 Enseignement sur la vue: comment il demeure

Kye ho ! Regarde-toi toi-même, avec l’esprit non distrait !
Lorsque tu réaliseras par toi-même ce qu’en réalité tu es vraiment2Un traduction littérale serait : ta propre ainsité, ce qui n’est pas très évocateur, en termes d’expérience.
Même ton esprit distrait apparaîtra comme Mahamoudra ;
La libération des caractéristiques est l’état de grande félicité.

Puisque les jouissances et les souffrances oniriques
Sont au réveil dépourvues de nature,
Qui peut alors penser que toutes ces considérations,
Ces espoirs et ces craintes, aient été établis ou bien qu’ils ont cessé ?

Tous les phénomènes du samsara et du nirvana
Sont dépourvus de nature lorsqu’ils sont vus tels quels :
Puisque toutes ces circonspections, ces espoirs et ces craintes sont alors dissipées,
Quel effort, en vue du renoncement ou de l’acceptation, y aurait-il à faire ?

Toutes les apparences et tous les sons sont tels une illusion, un mirage,
Le reflet d’une forme, et n’ont aucune caractéristique substantielle ;
Le créateur de ces apparences illusoires est l’esprit lui-même, l’espace
Sans centre ni périphérie, que personne ne connaît.

Les eaux du Gange et des nombreux autres fleuves
Ont une unique saveur dans l’océan salé ;
De même, il faut savoir que l’esprit conceptuel et les nombreux états mentaux
Ont une « unique saveur » dans l’infinie présence.

2.1.2 Enseignement sur la manière de le réaliser

Examinant profondément le domaine de l’espace dans sa totalité
On ne trouve ni centre ni périphérie et la vision prend fin.
De même examinant profondément l’esprit et les phénomènes,
On ne trouvera pas une seule et infime trace d’essence.
Puisque même l’esprit qui examine ne peut être observé,
Rien n’est vu : telle est précisément la vision.

2.1.3 Ne pas s’écarter de cette réalisation

De même que l’oiseau décollant du navire,
Tourne dans les airs et puis revient,
L’esprit en proie au désir qui se perd en pensées
Retourne en l’état naturel de l’esprit primordial :
Puisqu’il n’est pas ébranlé par les circonstances,
Défaisant le nœud des incertitudes liées au désespoir, il est l’esprit adamantin.

2.2 Méditer

Trois parties :

2.2.1 Enseignement sur l’absence de méditation du mahamoudra

L’esprit ramené à son fondement est semblable à l’espace ;
En l’absence de méditation, ne t’engage pas dans le mental :
La perception ordinaire, dans son mode propre et inné,
N’est pas altérée par les références artificielles
Et il n’y a pas à amender l’esprit pur naturel
Ne conçois pas, ne rejette pas, demeure en cet ordinaire tel quel.

Alors qu’il n’y a pas de méditation dans l’esprit des non réalisés,
Il n’y a pas de méditant ou d’objet à méditer chez les réalisés.
De même que l’espace est dépourvu de référence à l’espace,
De même la vacuité est dépourvue de méditation de la vacuité,
La perception non-duelle est comme de l’eau mélangée au lait
Le goût unique de la diversité est la grande félicité ininterrompue..

2.2.2 Montrer que la suprême méditation n’est pas à distinguer de l’absence de méditation

Ainsi, à chaque instant, au cours des trois temps,
L’absence d’engagement du mental est l’état naturel sans limitations;
Préserver cet état est par convention ce que l’on nomme « méditation »
Sans contrôler la respiration ni contraindre le mental,
Laisse la perception sans élaboration, comme on laisse faire un bébé,
Si des souvenirs ou des pensées surviennent, vois ce qu’ils sont en eux-mêmes,
Ne pense pas que l’eau et la vague sont deux choses différentes.

2.2.3 Montrer par des exemples comment l’esprit ordinaire parfaitement libéré des trois cercles, sans être caractérisé, est la voie de l’ainsité, le Mahamoudra

Puisqu’en l’engagement mental, en l’état de mahamoudra
Il n’y a pas même une particule à méditer, ne médite pas !
Ne pas s’écarter du mode de l’absence de méditation est la suprême méditation,
La saveur unique de la félicité non-duelle et innée.
L’eau dans laquelle on verse de l’eau a une saveur unique :
De même, lorsqu’on demeure dans l’état naturel tel qu’il est
Le mental qui saisi et s’attache à des références est complètement apaisé.

2.2.4 Montrer la conduite à tenir

2.2.4.1 Montrer qu’il n’y a pas de conduite déterminée dans le mahamoudra

Kyé ho !
Dans le yoga de l’état naturel non duel
Que doit-on rejeter ou adopter ?
Moi même, qui ne rejette ni ne saisi aucun phénomène,
Je ne dis pas : « fils, c’est ce que vous devriez faire ».

De même que ce joyau [de l’esprit] est dépourvu de réalité,
La pratique du yogi est dépourvue de réalité
Même ses paroles ne sont que les sons variés de ses conditionnements
L’intelligence du yogi ne s’écarte pas de son unité.

Puisqu’en cette unité il n’y pas de « un »,
Ses divers aspects n’ont aucune racine ;
Comme un fou, sans calcul ni intention, libre,
Pratique sans rien faire, agis comme un petit enfant.

2.2.4.2 Montrer que cette conduite empêche d’être souillé par des circonstances fortuites

Émaho !
L’esprit est tel un lotus né dans la boue du devenir
Par quelque vice que ce soit, il ne peut être souillé.
Les plaisirs de la nourriture, de la boisson et de l’union sexuelle,
Sont les pires tourments du corps et de l’esprit :
Mais quels que soient les divers aspects de la conduite,
Rien n’est entravé, libéré ou souillé.

2.2.4.3 Montrer la force de la compassion sans attachement qui s’élève pour le bien d’autrui

En l’état sans arrière-pensée de ta propre pratique de réalisation
Les larmes coulent spontanément par compassion
Lorsque les êtres limités apparaissent clairement dans leur misère :
Te mettant toi-même à la place d’autrui, tu t’engages pour leur bien.

La réalité, après analyse, est détachée des trois références3Le triple cercle : objet, sujet, relation ; il y a aussi le don, celui qui donne et celui qui reçoit. ;
Elles sont irréelles, semblables à l’illusion du rêve.
Débarrassé des obstacles, dans la joie, inlassablement,
La réalité ressemble aux tours illusoires d’un maître magicien.

3. Atteindre l’état de Mahamoudra

Trois parties :

3.1 Enseignement définitif sur l’obtention du fruit

Depuis toujours, dans la nature pure de l’espace
Il n’y a rien à rejeter ou à obtenir.
L’absence d’engagement du mental est mahamoudra,
Ne rejette rien pour ce qui concerne le fruit.

Puisque l’esprit qui espère est primordialement non né
Qu’y a t-il rejeter et à obtenir ?
Si quelqu’un devait obtenir quelque chose,
Quelle utilité auraient l’enseignement en quatre sceaux 4ཕྱག་རྒྱ་བཞི = les quatres sceaux (mudras).
Les quatre sceaux (de l’engagement, de l’action, de la réalité, grand) appliqués à la phase de perfection sont décrits dans le Hevajra et le Cakrasamvara. Dans le Hevajra, le sceau d’engagement (samaya, dam tshig) est le yoga des gouttes subtiles, fondé sur les souffles, ainsi que le yoga de l’ardente et de l’écoulement des gouttes, fondé sur deux ou quatre roues de canaux. Le sceau d’action (karma, las) est la pratique menée avec une partenaire réelle ou imaginée une fois que le pratiquant a atteint la capacité de connaître la félicité et la vacuité en dépendant de son propre corps et donc de contrôler pleinement les souffles. Quand la félicité a été engendrée correctement est pratiqué le sceau de la réalité afin de sceller toutes les apparences avec la félicité, ce qui a pour conséquence que tous les phénomènes deviennent le grand sceau. L’expérience des trois premiers niveaux parachevée, ou du moins une certaine accoutumance avec eux, il médite sur le grand sceau au moyen du retrait et des autres éléments du yoga sextuple
?

3.2 L’égarement qui consiste à vouloir l’obtention quand il n’y a rien à obtenir

De même qu’une biche assoiffée, emportée par l’illusion
Se précipite vers l’eau d’un mirage,
De même, l’ignorant que le désir emporte
Après bien des efforts, est toujours loin du compte.

3.3 Cette absence de quoique ce soit à obtenir est appelée « obtention de Vajradhara »

Depuis toujours la nature non née est parfaitement pure
Et il n’y a pas en elle la moindre particularité,
Le mental analytique se purifie dans son immensité
Et on appelle simplement cela [l’état] de Vajradhara.

A l’instar des mirages dans un désert aride
Qui laissent apparaître de l’eau là où il n’y en a pas,
La pureté primordiale, la purification du mental analytique,
Ne peut être décrite en termes éternalistes ou nihilistes.

Le pouvoir des souhaits, tels une gemme ou un arbre à souhaits
Comble toutes les attentes.
Les conventions mondaines sont superficielles
Elles n’ont aucune réalité au sens ultime, quoi qu’il en soit.

Fin du « Trésor des dohas », instructions essentielles du Mahamoudra, composé d’après les paroles de Saraha, le glorieux ermite. Cela fut traduit en tibétain par le maître indien Vairochanarakshita.

Traduit du tibétain par Tchamé Dawa – Eussel Longyé, entre fin 2020 et janvier 2023, pour le bien de tous les êtres.
Toute erreur ou approximation lui revient !

Le texte tibétain provient de l’édition de Rumtek du « do ha mdzod brgyad » qui figure dans la bibliothèque personnelle de Lama Denys Rinpoché

Une autre version tibétaine se trouve ICI